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« Baja California ». Deux mots qui évoquent à eux seuls la chaleur. Celle des vastes étendues désertiques, des cactus aux formes curieuses et des plages à perte de vue. Mais aussi une biodiversité hors normes, des massifs montagneux et des ciels étoilés comme seuls les déserts en ont le secret.
La Basse Californie, État mexicain à la frontière de la Californie américaine, forme la deuxième plus grande péninsule au monde : 1 200 sur 80 kilomètres, de Tijuana à Los Cabos, et du Pacifique à la mer de Cortés. Traversée par des routes infinies et des pistes perdues, « Baja » attire les amateurs de road-trips et de nature sauvage.
Ben Quesnel passe chacun de ses hivers à parcourir ce territoire de long en large, à bord de vieux Combis Volkswagen. Il nous livre le récit d’une traversée nord-sud et ses souvenirs collectés au gré des saisons, des détours, des pannes mécaniques et des rencontres.
Les cactus défilent, milliers de géants verts dressés dans une veille éternelle. Mon vieux bus tressaute sur un chemin de sable rocailleux sans fin, et les cailloux projetés sur le châssis rythment ma progression dans ce désert imperturbable. Sans climatisation, j’ai laissé les fenêtres entrouvertes pour ne pas suffoquer – mais je suis en nage.
La poussière recouvre mon tableau de bord d’une fine couche blanche qui viendra s’accumuler des semaines durant – je sais qu’il est vain de l’en enlever. Au loin, une chaîne de pics secs surplombe cette grande étendue aride, tandis que Bahia de los Angeles, la Baie des Anges, n’est plus qu’une tâche turquoise dans mon rétroviseur.
Ce matin-là, nous étions partis pour plus de 200 kilomètres de piste. Un jour comme un autre dans ce coin reculé de la Basse-Californie. Les paysages s’y enchaînent sans se ressembler. Les côtes cisaillées s’étendent à l’infini, bordées de longues chaînes de montagnes et d’étendues désertiques à perte de vue.
Une fois passée la frontière au Nord, la Sierra de Los Cucapah offre des cimes parfois enneigées l’hiver, qui marquent la fin de la faille de San Andreas venant se jeter dans la mer de Cortés – ou Golfe de Californie. Et si le fleuve Colorado ne s’y déverse plus depuis longtemps, le Golfe de Californie connaît les troisièmes plus grandes marées d’Amérique du Nord, permettant à ce que Jean-Jacques Cousteau appelait “l’aquarium du monde” d’accueillir une faune et une flore sous-marines hors du commun.
« Baja » est un terrain de jeu sans fin pour les amateurs d’overlanding – voyages de longues distance et durée à travers des terrains difficiles d’accès. Depuis trois ans, j’y passe tous mes hivers. Les deux premiers au volant de mon van de trente-cinq ans, parfois seul, souvent au gré des caravanes qui se forment et se déforment, lentes processions de véhicules soigneusement équipés pour la longue transhumance des nouveaux nomades que nous sommes. L’hiver dernier, j’étais co-équipier à bord du vieux Combi d’un ami cher, en route pour aller chercher mon T3 immobilisé un an plus tôt par la pandémie, de l’autre côté du Golfe. Cet ami a parcouru plus de 2 000 kilomètres depuis l’Oregon pour me retrouver à la frontière que nous avons passeé ensemble.
Chaque traversée de Baja California en van me donne l’impression de la découvrir pour la première fois. Les itinéraires ne se ressemblent jamais – une dizaine de séjours ne suffirait pas pour prétendre connaître ce vaste territoire strié de pistes. Selon les années, la saison des ouragans, de juillet à octobre, peut aussi transformer de grandes plaines, parfois arides, en champ de fleurs, quand elle ne détruit pas des pans entiers de route ! En 2018, notre petit convoi avait ainsi mis 8 heures à parcourir 160 kilomètres tant la route avait été abîmée… Les rencontres aussi varient d’une année à l’autre, qu’elles soient faites de bivouacs partagés avec des voyageurs du monde entier ou de séjours parmi les locaux installés là depuis des générations.
Une fois la frontière passée au Nord, les amateurs de surf choisissent de descendre la Carretera Federal 1, extension mexicaine de la mythique Highway 1 qui longe la côte californienne aux États-Unis. D’autres rejoignent la mer de Cortés le plus rapidement possible par la Highway 5. Je ne saurais en préférer une à l’autre tant les paysages sont différents.
Par le passé, je suis aussi passé par la très verte région viticole de la Vallée de Guadalupe, au nord d’Ensenada, avant d’emprunter la spectaculaire Highway 3 qui relie la côte Pacifique avant de rejoindre le Golfe de Californie et les étendues désertiques de Baja, à l’est. Non sans m’être fait arrêter pour un excès de vitesse au passage. Une infraction peu probable vu mon bolide… Les petites extorsions policières sont fréquentes au Mexique. Les gringos que nous sommes avons toujours un billet facilement accessible pour éviter de sortir tout le portefeuille.
Passée la ville de San Felipe, la côte est s’offre à nous sur des centaines de kilomètres. Les eaux turquoises de cette succession de criques et de baies sauvages me rappellent les Caraïbes. Plus loin, on bifurque à l’ouest vers la haute plaine de Cataviña où se côtoient cardóns – ces cactus géants que l’on retrouve tout au long de la péninsule – et des rochers de granite de la taille de maisons, dans un paysage hors du temps. Il parait qu’on peut y trouver des peintures rupestres datant pour certaines de plus de 7 000 ans. La nuit venue, on se réchauffe autour de feux de camps sous un immense plafond d’étoiles que seule permet l’isolation des déserts.
Il nous faut encore rouler sur la Highway 5 jusqu’à rejoindre la 1. Avant d’atteindre Baja California Sur, la moitié sud de la péninsule, on prend le temps d’un autre détour : Bahia de los Angeles. En 2019, alors que je participais à une production documentaire, nous y avions emprunté un long chemin de piste pour rejoindre un ranch isolé, deux jours plus tard, et y interviewer Don Oscar, fermier et patriarche d’une famille installée dans ce paradis reclus. Chaque année, selon l’humeur et les compagnons de route, je choisis ainsi de nouveaux détours, qui peuvent parfois prendre plusieurs jours.
Le passage en Baja California Sur se fait sur la côte Pacifique, à 160 kilomètres au sud des Seven Sisters, cette succession de sept surf breaks difficiles d’accès mais prisés des surfers du monde entier. Avant la frontière, j’ai eu l’occasion d’enterrer mes roues – pourtant dégonflées pour parfaire mon adhérence – à vouloir tenter de pénétrer les Dunas de Soledad, ces dizaines de kilomètres de dunes. La nuit venue, le spectacle des ombres de ces géants de sable suivant la lune vaut bien le risque, le lendemain, d’en remplir son van en tentant de l’en extirper. Jamais sans être accompagné par des véhicules bien plus aptes à l’exercice, et capables de m’en tirer, on ne sait jamais.
Une fois en Baja California Sur, la route nous mène ensuite dans la Réserve de la biosphère d’El Vizcaíno, le plus grand refuge sauvage du Mexique. Quelque 200 kilomètres à travers des paysages à couper le souffle nous amènent de nouveau vers la côte est, longeant les Tres Virgines, trio de volcans noirs. Je me suis promis d’en faire l’ascension lors de mon prochain passage : à près de 2 000 mètres d’altitude, il paraît que la vue sur cette partie de la péninsule est magique.
Sur cette nouvelle section de côte, je m’assure toujours d’y passer plusieurs jours à explorer Mulege et ses alentours. Il y a d’abord San Ignacio, une oasis géante où l’on campe au bord d’étangs calmes, bordés de palmiers. Plus loin, le village colonial de Mulege est une autre oasis, au sens propre comme au figuré. Construit autour d’une palmeraie qui se nourrit des sources d’eau douce qui l’entourent, c’est une étape idéale pour récupérer des longues journées de pistes et de rocailles.
La route nous mène ensuite vers Loreto, première colonie espagnole de la péninsule. Fondée en 1697, cette petite ville fut un temps la capitale de l’immense province de Las Californias – regroupant la Californie américaine et la Basse Californie. On s’y ravitaille avant de poursuivre vers mon endroit préféré : Agua Verde.
Après une heure de route, puis une autre de piste, on aborde un chemin étroit à flanc de falaise, qui nous ramène enfin au niveau de la mer. On reste quelques nuits dans ce coin, l’un des plus sauvages de la région, pour profiter des levers de soleil sur ces plages infinies et du bal des pélicans qui viennent y pêcher toute la journée. Sans personne ni réseau, le temps s’arrête.
En sortant d’Agua Verde, on rejoint la capitale de Baja Sur, La Paz, à l’énergie incroyable. Elle est encore préservée des touristes américains, qui se cantonnent à Los Cabos. C’est une base idéale pour explorer le sud de la péninsule et bivouaquer sur les plages alentour. Je m’y arrête chaque année, profitant du seul garage de la péninsule connaissant les Volkswagen T3 pour réparer les dégâts rafistolés les semaines précédentes. En face, il y a l’île Espiritu Santo, protégée par l’UNESCO. J’ai pu y plonger avec de jeunes lions de mer, ou voir une baleine bleue lors d’un séjour en mer sur le voilier d’un ami installé à La Paz.
Côté Pacifique, entre les petits villages de pêcheurs et la belle ville coloniale de Todos Santos, se succèdent de longues plages où les surf breaks s’enchaînent les uns après les autres. Chaque année je me surprends à perdre le compte des jours que j’y passe. On y retrouve souvent, autour de grands feux de camp, les voyageurs croisés les semaines précédentes. Là encore, c’est un véritable bal de baleines – à bosses, cette fois-ci. Lorsque le dessin de la côte le permet, on peut les voir barboter à quelques mètres de la plage.
Les longues semaines passées à parcourir le sud de la péninsule marquent la fin de cette longue odyssée qu’est la traversée de Baja California en van. La camaraderie qui s’installe entre les voyageurs, les liens tissés avec les locaux, les randonnées de dernière minute ou les bivouacs improvisés sur telle ou telle plage aperçue sur une image satellite… Tout ça se termine lorsque chacun reprend la route de son côté, que ce soit pour continuer la Panaméricaine, ou faire demi-tour pour reparcourir Baja dans l’autre sens, encore une fois.
L’hiver est la meilleure période pour partir explorer Baja California en van – le tourisme y est réduit à ce moment-là, et vous aurez la chance de voir affluer baleines et requins baleines. Les températures grimpent dès le mois d’avril et la chaleur étouffante de l’été peut s’avérer pénible.
Tijuana au nord et Los Cabos au sud sont les points d’entrée les plus courants quand on vient par avion. Si l’on traverse la frontière en voiture depuis les États-Unis, il est recommandé de choisir des postes de frontières plus petits et donc plus fluides, tels Tecate ou Mexicali. Si vous voyagez par la route depuis le Mexique continental, le ferry entre Mazatlan et La Paz est une belle option qui vous fera traverser la mer de Cortés en une nuit.
Le réseau téléphonique étant majoritairement inexistant, mieux vaut préparer votre traversée de Baja California en van en étudiant cartes, photographies aériennes et forums dédiés. Les stations étant rares (et les Combis goulus !) il faut également anticiper l’essence nécessaire à chaque trajet, ou encore les dégâts mécaniques à gérer sur place en apportant jerricanes et pièces de rechange. Souvent, il n’y aura rien, ni personne pour vous aider !
Une randonnée à travers la chaîne de montagne Sierra de la Laguna : trois jours de marche jusqu’au Cerro el Picacho, un pic qui, du haut de ces 2 155 mètres, offre un panorama inoubliable de l’océan Pacifique à la mer de Cortés.
Un guide interactif pour préparer votre traversée de Baja California en van avec des liens, des cartes, des photos et même une playlist : Baja Like Nowhere Else
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