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Une journée en montagne apporte toujours son lot de surprises. Côtoyer les sommets, faire des traces dans la neige fraîche ou se retrancher dans un refuge sont autant d’occasions de vivre des histoires singulières. Et d’en entendre au coin du feu. Surtout quand on est accompagné de camarades de choix. Pour lancer l’année, nous sommes partis en compagnie du guide Fred Degoulet pour trois jours de ski de rando dans le Beaufortain. Une aventure tempétueuse réalisée en collaboration avec Arc’teryx.
Tous les ans, on prend les mêmes résolutions : passer un maximum de temps dehors. Pour ouvrir 2024, on est montés dans un train pour la Savoie dès le 3 janvier. Au programme : trois jours de ski de randonnée au pied de la Pierra Menta, un immense monolithe planté au sommet d’une arête rocheuse au cœur du Beaufortain. Les conditions s’annoncent difficiles, alors pour éviter de se retrouver ensevelis sous la neige, on a appelé un guide pour nous accompagner. On nous a filé le numéro de Fred Degoulet, piolet d’or en 2018 — rien que ça. Il paraît qu’il a un bon paquet d’histoires à raconter.
Après quatre heures de trajet, on retrouve notre guide à Aime-la-Plagne. Il nous embarque dans sa voiture pour fuir la station et rejoindre le point de départ de la rando, à une heure de route. On en profite pour briser la glace. Originaire de Lyon, Fred Degoulet n’avait aucun bagage pour devenir montagnard, si ce n’est l’incapacité à rester en place. Après un début de scolarité tumultueuse, il a intégré un cursus sport-nature dans un internat de la Drôme. Il y a découvert l’escalade, la randonnée et les opportunités qu’offre la nature pour s’évader des bancs de l’école. À partir de là, il n’a plus quitté la montagne. Escalade en falaise à Céüse, expédition au Groenland ou encore grande voie sur la face sud du Nuptse au Népal… En sortant de la fac, il a passé l’examen de guide et onze ans plus tard, il exerce toujours ce métier avec passion, un piolet d’or — une sorte d’oscar de l’alpinisme — au palmarès.
Sur le parking, Fred nous teste. “Vous savez bien ce qu’est un double check des DVAs ?” On confirme de la tête, on se met en mode émission, il nous bippe. On répartit le matériel dans les sacs — 14 kilos chacun — et on commence l’ascension, en file indienne derrière lui. On s’enfonce dans les sapins, puis droit dans la pente, délaissant les couches à mesure que le soleil nous mijote. Vers midi, on atteint le refuge de la Balme. On profite du gîte pour y mettre le couvert. Au menu : du fromage, du saucisson et du pain. Ça sera déjà ça de moins dans le sac.
Deux heures plus tard, on arrive au refuge de Presset. L’abri fait face à la Pierra Menta, réputée chez les sportifs pour sa mythique course de ski de rando et légendaire chez les littéraires pour sa filiation avec le géant Gargantua. Il aurait expédié d’un coup de pied un bout de la chaîne des Aravis, venu se planter ici.
On est accueillis par un coucher de soleil sur l’éperon rocheux. Le ciel est ocre, puis rouge. On profite du spectacle sur la terrasse avant de s’installer à l’intérieur. L’abri est déjà occupé par une dizaine de personnes, et vu la température, le poêle chauffe depuis déjà quelques heures. On installe nos affaires dans la dernière chambre de libre, où de confortables lits superposés nous attendent.
Réveil aux aurores ce matin. On est bien décidés à aller chercher les belles lignes de ce coin sauvage du Beaufortain. Ancré à 2500 m d’altitude, le refuge est le camp de base parfait pour explorer les versants du massif. Malheureusement, les conditions se sont dégradées. Les fenêtres laissent apparaître un épais brouillard. C’est bâché comme on dit. Au coin du lit, Fred consulte le BERA (Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanche). La sentence tombe, ça ne va faire qu’empirer. Tous les randonneurs plient bagage et redescendent dans la vallée, mais Fred nous suggère tout de même de tenter le coup.
Après avoir étudié le topo, il nous propose de monter au col du Grand Fond, de redescendre sur l’autre versant puis de randonner au pied de la Pointe de Presset avant de revenir au refuge. On s’élance dans la purée de pois. Impossible de déceler le moindre relief, sommets ou traces, pourtant Fred nous dirige jusqu’au col et sans encombre. On dépeaute pour la première fois et on s’élance prudemment dans le couloir. Par moment, le ciel se dévoile et nous accorde une meilleure visibilité mais ces maigres ouvertures dans le brouillard ne sont pas rassurantes. Le vent déclenche de petites avalanches sur les pics qui nous surplombent. Fred nous invite à rester au centre de la pente. On s’offre de belles traces avant de remonter rejoindre le refuge pour le déjeuner.
Pendant le repas, il nous raconte l’expédition qui lui a valu son Piolet d’Or, la reconnaissance ultime du monde de l’alpinisme. Fin 2017, après deux ans de préparation et de repérages, il a vaincu la face sud du Nuptse (7742m) — un voisin de l’Everest — après 6 jours d’ascension. Personne n’avait réussi ou même imaginé que ce sommet était atteignable par cette face terrifiante. Mais surtout, il nous raconte sa première expédition au Groenland, qui a tourné au vinaigre.
En posant son poêlon à raclette bien chargé de fromage, il nous avoue ne plus jamais souffrir de la faim dans la nature depuis sa première expédition. À 23 ans, il avait quitté les études pour préparer sa première grande aventure : un voyage 50 jours en autonomie à l’assaut des immenses parois de granit du sud du Groenland. Son rôle : organiser et acheminer la nourriture sur place. Près de 200 kilos de matériel et de vivres avaient ainsi pris la mer par bateau depuis la France.
Mais après 25 jours d’escalade, lors de l’inventaire, il s’est rendu compte qu’ils allaient manquer. Et de beaucoup. Selon ses calculs, il restait moins de 10 jours de nourriture pour 25 jours d’aventure. Ils devraient donc manger environ trois fois moins que prévu. Comme on l’imagine déjà, la suite de l’histoire n’est pas joyeuse. Chaque repas entraînant une mesure des rations au millimètre près — au verre doseur pour le riz ou les pâtes, et à la règle pour les gâteaux — détériorant les relations au sein du groupe. Confinés par le mauvais temps, les compagnons misaient leurs rations au poker en se racontant leurs meilleures recettes de cuisine, l’eau à la bouche.
Après 15 jours de rationnement, un tour operator espagnol venu guider des touristes sur place en a fait les frais. Les trois grimpeurs se sont infiltrés dans la réserve de nourriture en pleine nuit avec un seul objectif : s’empiffrer au maximum. Une opération commando de 10 minutes qui leur a permis de reprendre des forces pour la dernière ligne droite.
Finalement, cette expérience ne leur aura coûté que 10 kilos, qu’ils ont repris (et bien davantage) le mois de leur retour en France. Bien au chaud dans ce refuge du Beaufortain, on relativise notre situation. On digère notre festin sur un thé et quelques clichés de cette expédition qui défilent sur son téléphone.
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Si ses histoires au bout du monde démontrent son expérience dans des situations critiques, Fred ne néglige pas les « petits gestes » du quotidien. Tout au long au week-end, il nous fait répéter des exercices théoriques. On commence par l’ancre en T ou corps-mort, une manipulation essentielle en ski de rando ou alpinisme pour descendre en rappel. On exécute tour à tour l’exercice avec notre pelle et notre piolet. Après quelques ratés, on réussit la manœuvre avec brio.
Le dernier jour, c’est encore la tempête. Avant de descendre à l’aveugle, on exécute un exercice de recherche de corps en DVA. Pour espérer sortir la victime vivante, on doit pouvoir localiser le corps en moins de 5 minutes et le récupérer en 10 minutes. Sachant qu’au-delà de quinze-vingt minutes, on a 80% de chances de survie en moins. On réussit le test avec mention. Nos quelques sorties annuelles permettent de garder les bons réflexes.
Pendant la descente, on ne discerne pas un relief jusqu’au refuge de la Balme. Il est à peine midi, on déjeune nos restes en vitesse et on s’attaque à la dernière partie de l’exercice de secours en montagne : l’évacuation d’un corps dans la neige. Fred nous rappelle comment sonder efficacement et comment sentir différentes matières à la sonde : pierre, corps, chaussure de ski…
Vient maintenant l’heure de l’exercice de sortie de corps. Fred plante sa sonde à 2 m. L’objectif est simple, creuser jusqu’à atteindre sa pointe. En formation triangulaire, ça nous prend pas moins de 10 minutes. À bout de souffle, on rechausse nos skis pour notre dernière descente. On passe par-dessus des rivières gelées, on évite quelques crevasses avant d’atteindre un chemin entre les sapins. Leurs branches croulent sous le poids de la neige et le vent soulève des cristaux qui viennent danser autour de nos visages. Un dernier spectacle avant de rejoindre la civilisation.
Il est 17h, on embarque notre matériel dans le break de Fred et on prend la route pour Chambéry. Pendant le trajet, on revient sur l’aventure. En tant que guide, Fred s’attache toujours à donner quelques derniers conseils à ses clients sur leurs techniques et leurs pistes d’amélioration. On s’offre un repas sur le pouce à la gare de Chambéry en attendant notre train et tout le monde s’écroule dans le trajet du retour, la tête pleine des récits hors du commun que Fred nous a partagé.
Crédits photos : Margot Canton-Lamousse
En partenariat avec
Arc’teryx
Arc’teryx est une marque spécialisée dans la création d’équipements et de vêtements techniques haute performance pour l’outdoor.
Leur initiative No Wasted Days™ encourage les gens à aller dehors, aller explorer l’environnement outdoor, se reconnecter à la nature, prendre du temps dans les grands espaces. C’est pourquoi elle éclaire la voie avec les récits de parcours hors du commun, où des protagonistes inattendus accèdent à la montagne par des chemins détournés.
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