Il y a quelques mois, Geoffrey Bire partait en expédition au Kirghizistan, sur les traces de la panthère des neiges. Natacha de Mahieu et ses deux frères sont eux aussi partis découvrir ce pays méconnu avec un tout autre objectif : parcourir plusieurs centaines de kilomètres à vélo entre les montagnes, les yourtes et les chevaux.
C’est par cette question tout innocemment posée à mon frère, parti quelques mois plus tôt de Belgique pour rejoindre Bangkok à vélo, que tout a commencé. Cet été, j’irai donc traverser le Kirghizistan à vélo pendant un mois. La seule chose que je ne sais pas encore c’est que le Kirghizistan, coincé entre le Kazakhstan et la Chine est un des pays les plus montagneux du monde, avec une altitude moyenne de 2750 mètres. Le traverser à vélo sera certainement un vrai défi sportif…
Après quelques mois de préparation intense à vélo avec Joseph, mon autre frère qui n’a, lui non plus, pas pu résister à l’appel des grands espaces, nous retrouvons Antoine dans le petit village de Soussamyr, à 150 km au sud de Bishkek, la capitale. Je donne les premiers coups de pédale qui m’emmèneront à travers les plus beaux paysages du Kirghizistan.
Le démarrage se fait en douceur puisque le premier jour n’est qu’une longue descente d’une quarantaine de kilomètres vers le village suivant, Kyzyl-Oi. À peine arrivés en bordure du village, un groupe de jeunes cavaliers nous appelle à les rejoindre. Ils sont en pleine séance d’entraînement de Kok-Borou (loup gris), le sport équestre national kirghize qui consiste à mettre un cadavre de chèvre dans le but de l’équipe adverse. La puissance des chevaux qui s’entrechoquent est si impressionnante qu’effrayés, nous refusons gentiment leur invitation à participer. Le lendemain, nous restons assister à un petit festival de traditions kirghizes riche en démonstrations de rites, danses et sports nationaux.
Mais il est temps pour nous de remonter sur les vélos vers notre premier objectif, le somptueux lac Song-kul, une des perles du Kirghizistan. D’une superficie de 270 km², il cumule à… 3000 mètres d’altitude ! Il nous faudra deux jours pour parcourir les 140 km et 1400 m de dénivelé positif. Jamais je n’aurais pu imaginer ce que ce voyage à vélo avec mes frères, bien plus sportifs que moi, me réservait. À la fin de chaque journée, à bout de force, une partie de moi me supplie de m’arrêter. Mais c’est impossible, mes frères pédalent déjà un kilomètre devant.
Il ne me reste plus qu’à m’accrocher aux splendides paysages montagneux pour continuer d’avancer. Et la récompense est largement à la hauteur des sacrifices. Passés le col, se déroule sous nos yeux une gigantesque plaine en pente douce qui s’enfonce des kilomètres plus loin dans le lac s’étendant à perte de vue. Arrivés à bout de forces en bordure du lac, un berger nous invite à prendre le thé dans sa yourte. Nous surmontons rapidement la barrière linguistique et apprenons qu’il vit là de mai à septembre avec sa femme, ses deux fils et son troupeau. C’est aussi avec eux que nous passons la soirée autour du poêle et d’une bouteille de vodka dans sa petite yourte.
Nous restons quelques jours dans ce décor de rêve avant de remonter sur nos vélos vers Naryn, la quatrième ville du pays où nous nous reconnectons pour quelques instants avec la civilisation et faisons le plein de vivres pour la semaine suivante qui nous amènera sur les rives du lac Issyk-Kul. Nous choisissons le chemin le plus court, qui passe par le col de Tossor, indiqué sur notre carte comme un axe routier majeur du pays mais qui semble désaffecté depuis longtemps en raison de l’instabilité du terrain. Le col de Tossor culmine à près de 3900 mètres d’altitude. Nous avons près de 2000 m de dénivelé à gravir mais heureusement la pente est douce et j’ai eu le temps de m’y préparer mentalement.
Les paysages sont grandioses et la vallée est habitée par bien plus de chevaux que d’humains. Au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude les yourtes se font plus rares. Les quelques bergers que nous croisons font preuve d’une hospitalité incomparable. Les thés et les sourires partagés nous encouragent à vaincre le mal de l’altitude. L’orage gronde au loin quand nous passons le col ; les nuages qui viennent se mêler aux montagnes forment des paysages oniriques. Mon instinct de photographe est aux anges. Face à nous et plus de 2000 mètres plus bas, la vue se dégage sur le lac Issyk-Kul, entouré de somptueux sommets aux neiges éternelles.
Ce lac est le deuxième plus grand lac de montagne au monde, après le lac Titicaca. Ses sources d’eau chaude lui confèrent la particularité de ne jamais geler, même au plus profond du rude hiver kirghize. Quatre jours de montée pour deux heures de descente, mais probablement la meilleure sensation du voyage. Au fil des virages en épingle à cheveux, l’air s’épaissit et nos corps reprennent vie. Les rives du lac sentent bon la Méditerranée, il ne nous en fallait pas plus pour faire une halte réparatrice.
Les jours qui suivent nous prenons notre temps pour rallier Karakol, véritable capitale du trekking du pays. L’appel des montagnes est plus fort que celui de nos vélos si bien que nous les troquons pour des chaussures de marche le temps de quelques jours. La seule carte de randonnée du coin ne renseigne qu’un chemin. Tant pis ! Vu le nombre de touristes croisés durant nos trois premières semaines dans le pays, il ne devrait pas y avoir trop de monde. Grossière erreur… C’est une véritable autoroute qui nous mène jusqu’au lac Ala-kul et ensuite, via un col escarpé, à un semblant de station thermale de montagne où les touristes sont amenés par autocars entiers. Tout cela est tellement loin de la nature qui rend ce pays si beau. Nous passons notre chemin, définitivement déçus de ce retour à la civilisation non souhaité.
Il reste 5 jours avant mon vol de retour et pas moins de 450 km à parcourir ; il va falloir se dépêcher. Nous mettons le cap sur Almaty au Kazakhstan. Cette capitale économique est le point de passage obligé pour mon frère Antoine qui doit obtenir son visa pour la Mongolie, sa prochaine destination, ainsi que pour moi et Joseph car c’est un des seuls aéroports internationaux de la région. La route traverse de vertes collines hébergeant de vastes troupeaux en liberté. Les pentes se font plus douces, quel bonheur ! Nous profitons d’une halte dans le dernier village kirghize pour déguster une dernière fois le kumiz, un lait de jument fermenté au goût aussi savoureux et digeste que son nom le laisse transparaître. Ce breuvage fait la fierté des bergers qui n’ont eu de cesse de nous l’offrir durant tout notre voyage lorsque nous nous arrêtions un peu trop près de leur yourte.
Les dernières collines finissent par s’estomper, elles aussi, pour laisser la place à la torride steppe kazakhe, mais toujours sous la surveillance lointaine des montagnes que nous avons laissées derrière nous. Le retour à Almaty est un choc. C’est avec cette métropole accueillante que la civilisation me reprend dans ses bras. C’est aussi là que je fais mes adieux à mon frère Antoine qui continue son périple vers la Mongolie en passant par la Chine. Qu’il en a de la chance, lui !
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