Se lancer dans un trek sur les pentes d’un volcan, même endormi, est toujours une aventure à part. Au Rwanda, le mont Karisimbi domine la chaîne du Virunga et tout le pays de ses 4 507 mètres d’altitude.
Ses flancs humides, inclus dans le Parc national des Volcans, abritent quelques-unes des dernières populations sauvages de gorilles au monde, étudiées et défendues par l’illustre primatologue Dian Fossey au prix de sa vie. Des animaux mythiques que Joseph d’Arrast espère apercevoir, alors qu’il s’enfonce dans la forêt primaire pour débuter l’ascension du Karisimbi.
Cela fait plusieurs mois que je lorgne sur le volcan Karisimbi. Ses 4 507 mètres en font le plus haut sommet du Rwanda et le 11ème en Afrique. Après les ascensions du Bisoke et de la Sabinyo, je n’attendais que de me remettre d’une cheville cassée pour me lancer à l’assaut de ses pentes interminables.
Sur le papier, c’est loin d’être l’ascension la plus engageante des volcans du Virunga. Le Bisoke a son cratère, le Sabinyo ses flancs escarpés qui se franchissent sur des échelles verticales. Le Karisimbi, lui, est piqué d’une vulgaire antenne télécom de 40 mètres de haut.
Et puis le volcan a mauvaise presse. Il abriterait des esprits malfaisants, les plus puissants de la chaîne du Virunga. En 1908, lors de sa première ascension, vingt des porteurs sont morts sur le chemin du retour à la suite d’une tempête de grêle et de neige. Mais il reste le plus haut sommet du Rwanda, et pour tout montagnard qui se respecte, cela lui confère une aura particulière.
La décision est donc prise de s’en aller crapahuter sur le ventre de ce vieux monsieur endormi dont la dernière éruption remonte à 8 050 ans avant J-C. Nous sommes cinq dans la voiture qui nous emmène de Kigali à Musanze, ce vendredi soir. Après une mauvaise nuit dans un hôtel des faubourgs de la ville, nous nous rendons pour les formalités d’usage à la réception du parc dès sept heures du matin.
La paperasse, les salamalecs et la route jusqu’au départ du sentier font que nous ne débutons pas notre randonnée avant huit heures quarante-cinq. Nous recrutons quelques porteurs pour nous aider avec nos tentes, l’eau et la nourriture, puisqu’il nous faudra passer la nuit dans un campement à 3 700 mètres d’altitude – à mi-hauteur, le départ se situant à 2 600 mètres. Nous sommes loin d’une course alpine, mais le guide est de toute façon obligatoire.
Pour débuter l’ascension du volcan Karisimbi, il faut d’abord emprunter un sentier au pied du mont Bisoke. La marche d’approche nous conduit au milieu des champs de pommes de terre striés de pyrèthres, ces fleurs semblables à de grosses pâquerettes qui servent d’insecticide naturel. Les cultures sont séparées par des murets de pierres délicatement empilés.
Nous passons à travers une forêt d’eucalyptus avant de pénétrer ensuite dans le parc même et la forêt primaire qui le compose en large majorité. Un groupe de militaires nous rejoint alors pour nous accompagner tout au long du week-end. Le risque – rare – d’une attaque de rebelles congolais existe toujours mais les « gentlemen of the army », comme les surnomment notre guide, ont plus de chance d’employer la manière forte en cas de rencontre avec des buffles, connus ici pour leur agressivité.
Nous progressons une heure dans le sous-bois, avant d’atteindre la bifurcation qui, au nord, monte directement vers les pentes du mont Bisoke, et, à l’ouest, continue vers l’ascension du volcan Karisimbi. C’est là aussi que se trouve la tombe de Dian Fossey, la fameuse primatologue américaine qui fit tant pour la conservation des gorilles, avant d’être assassinée en 1985 dans de circonstances encore non élucidées. Je coupe court au suspens : nous ne verrons pas de gorilles, à mon grand regret. C’est mon troisième volcan dans le parc, et après avoir croisé des buffles et un éléphant, j’espérais apercevoir les géants au dos argenté.
Nous parvenons ensuite jusqu’à un vaste marécage. Nos jambes s’y enfoncent dans d’étranges bruits de succion et ceux qui ont fait le choix de porter des bottes ne retirent parfois que leur pied en chaussette. Il nous faut sautiller sur des branches et bouts de bois disposés sur le sentier : leur longueur empêche que le pied ne s’enfonce trop vite et l’on enchaîne rapidement avec le suivant. Nous sommes également pourvus de longs bâtons sculptés d’une petite tête de gorille qui nous aident à nous rattraper en cas de perte d’équilibre.
Peu à peu, la forêt s’ouvre sur de larges clairières tamisées d’une brume argentée. Quelques ruisseaux à l’eau claire font entendre leur tintement. Nous sommes ici dans une des rares forêts de coussos, ces arbres au troncs bas, dont les énormes branches s’élèvent à près de vingt mètres de hauteur. Elles sont recouvertes d’un épais matelas de mousse – qui rappelleront les Ents du Seigneur des anneaux aux connaisseurs. Ces coussins naturels moutonnent comme des nuages dans les arbres et laissent pendre de longues lianes qu’agite une légère brise. Des écureuils sautent d’une branche à l’autre. Certains troncs abritent de larges creux dans lesquels on peut facilement s’étendre à plusieurs et s’éveiller entouré d’une assemblée d’elfes prêts à nous emmener pour un voyage en Terre du Milieu.
Les choses se corsent bientôt. Le terrain s’élève, la nature se resserre. Racines, boue, pierres contestent chacun de nos pas. Nous dépassons les 3 000 mètres et le souffle se fait court. Après deux heures d’effort au milieu d’une végétation en pente raide (on ne peut plus parler de sentier), nous émergeons de la forêt pour parvenir sur une petite plaine. Là, devant nous, se tient enfin la pyramide assoupie du Karisimbi. Comme toujours, son sommet est enveloppé d’un fin nuage, ce qui lui vaut son surnom de « Coquillage blanc ».
Après une pause déjeuner, nous traversons ensuite la plaine tapissée d’herbes hautes. Ici rodent de nombreux buffles. Les militaires nous précèdent, le casque de travers, la kalachnikov en bandoulière, le barda se balançant doucement au rythme de leur progression vigilante. On se croirait volontiers dans un film de guerre… La plaine franchie sans mauvaise rencontre, nous attaquons enfin les premières rampes de notre ascension du volcan Karisimbi. Nous sommes à flanc de collines, grimpant autant à la force des mains que des pieds entre les racines des arbres.
Après un dernier effort d’une heure, nous nous extirpons du bois et parvenons sur un replat : le campement. La vue dégagée nous ravit. Le Karisimbi est là, plus proche que jamais, 800 mètres plus haut. Au nord, se dessine le profil dantesque du Mikeno, ce volcan fiché au milieu du parc des Virunga, où Peter Jackson pourrait très bien avoir filmé son King Kong. Derrière, à l’est, nous récoltons enfin le fruit du dénivelé parcouru.
Le Bisoke déborde sur l’horizon et laisse entrevoir, sur sa droite, la ligne du trio de volcans à la frontière ougandaise : le Sabinyo, le Gahinga et le Muhabura. Le ciel est pur, nous sommes en début d’après-midi. Nous avons tout le temps d’installer notre campement et de profiter du spectacle.
Le reste de la journée s’écoule sur un rythme tranquille. Nous sommes perchés sur ce promontoire, ce balcon à mi-chemin entre la jungle luxuriante et les hauteurs de basalte, entre le coquillage blanc et l’océan vert. Parfois le sommet du Karisimbi se découvre l’espace de quelques secondes, dévoilant sa colossale antenne, figure défigurante mais objet de notre convoitise. Nous jouons aux cartes avec les porteurs puis c’est l’heure de la corvée de bois.
La température chute brutalement tandis qu’un vent vient souffler sur nos dos. Nous enfilons gants et bonnets. Bientôt un brasier démesuré s’érige entre le froid et nous. L’abondante fumée provoque son inévitable jeu de chaises musicales. Nous séchons bottes, guêtres, chaussures et chaussettes. J’observe les porteurs préparer leur couche. Ils dormiront dans une tente en tôle rouillée sous laquelle ils entassent de l’herbe fraîchement coupée afin de s’isoler au mieux du sol froid. Les militaires se disposent en triangle aux abords du camp et se contentent de bricoler des huttes recouvertes d’une simple bâche.
C’est désormais l’heure de la tambouille. Au menu : soupe aux nouilles chinoises. Je mâchouille également quelques bouts de biltong dégotés à Kigali. Les porteurs et notre guide sont de vrais marmitons. Ils font griller du maïs sur les braises puis préparent un plat de manioc à l’aubergine, accompagné d’un mélange de farine, de sambazas – sardines – séchés et d’éclats de cacahuètes.
Tout d’un coup, une exclamation retentit. Derrière nous, se lève un halo orange démesuré. La lune monte, brûlante, rougeoyante, aussi large que les volcans sur l’horizon. Je veux courir à mon appareil photo. On me retient. « Laisse, tu ne seras que déçu du résultat. » Mieux vaut se contenter de suivre des yeux la trajectoire de cet orbe hypnotisant. Au bout d’une heure d’ascension, la lune reprend une taille et une couleur plus conformes. Certaines images n’appartiennent qu’à ceux qui en sont les témoins.
Enfin vient l’heure du coucher. Chacun s’arrache à la chaleur du feu puis s’en va grelottant se glisser dans son duvet. La nuit passe. Lente, froide, mauvaise. Le bruit des duvets qui frottent sur les tapis de sol, le rire des porteurs qui veillent pour entretenir le feu, le ronflement pachydermique du guide… Tout me tient éveillé.
Nous sommes debout à cinq heures du matin. Une mer de nuage tapisse la vallée qui nous sépare du Bisoke. Après avoir avalé un thé et deux tartines de beurre de cacahuète, notre groupe se prépare. Les traits tirés, les membres engourdis, pressés de nous réchauffer, nous partons à l’assaut du sommet. Est-ce l’altitude ou simplement notre appréhension ? Tout le monde se sent un peu barbouillé. Il faut dire que nous ne sommes pas acclimatés. Je me force à mâchouiller une barre de céréales.
Qualifier de « raide » le sentier qui suit la crête relèverait de l’euphémisme. La pente moyenne de l’ascension avoisine les 40 %, alternant quelques replats et des passages d’escaliers en colimaçons entre les racines des arbres. Je me retourne pour observer le campement qui, déjà, prend le large. La mer de nuage se dissipe. Les volcans sont toujours là. Le soleil naissant baigne les rosettes des lobelias géants d’une lueur irisée. De loin en loin, le chant des oiseaux résonne puis s’évanouit. Allez, il faut poursuivre.
Au bout d’une heure, je commence à me sentir plus à l’aise. Nous atteignons la dernière moitié du sommet, toujours planqué sous un nuage. Je sais désormais que j’y parviendrai. Psychologiquement, je crois que tout le monde a passé un cap. Nous avançons plus allègrement.
Bientôt, nous parvenons sur les dernières pentes de notre ascension du volcan Karisimbi. Un paysage chauve, lunaire se découvre. Ce ne sont plus que quelques touffes d’herbes et des pierres de basaltes recouvertes d’un lichen vert fluo. Un vent terrible nous fait chavirer. Nous continuons, frigorifiés, nos pieds glissant dans de longues coulées de gravier.
Enfin le guide se retourne, silhouette fantomatique au milieu du vent, des nuages et de la poussière, dévoilant son large sourire et la perspective du sommet. Nous y sommes! Un ruban de ciel bleu se détache, puis disparaît aussitôt, emporté par les nuages. Nous n’aurons pas droit à une vue totalement dégagée.
Qu’importe ! L’adrénaline est là, et avec elle la sensation d’avoir eu à se battre pour atteindre notre objectif. Aucun sport ne procure une sensation pareille. Atteindre un sommet, c’est jouer sur les plus beaux ressorts de la psychologie humaine : effort, incertitude, succès, récompense. Nous sommes grisés.
Il est huit heures. Nous restons une trentaine de minutes au sommet, à observer cette drôle d’antenne rouge et blanche tout en luttant contre le vent pour nous déplacer. Des plaques de tôles rouillées et des câbles noirs s’amoncèlent un peu partout. On se croirait volontiers sur un poste militaire avancé. Les nuages, battus par les rafales, se déchaînent autour de nous. Ils filent, plongent, louvoient, se déchirent, dévoilent la vallée et le Mikeno l’espace de quelques secondes, puis barbouillent à nouveau l’horizon. Enfin, il faut partir. Cinquante mètres plus bas, je me retourne pour jeter un dernier regard au sommet du Karisimbi mais plus rien ne subsiste qu’un tourbillon blanc ballotant la cime.
Le Parc national des volcans se situe à quelques kilomètres de la ville de Musanze. De la capitale Kigali, on trouve de nombreux bus à la station Nyabugogo à l’ouest de la ville. Inutile de réserver, il en part un toutes les quelques minutes. Il est également possible de louer des voitures à Kigali.
Le plus simple est ensuite de passer la nuit à Musanze et de se rendre à 7h00 du matin à l’entrée du parc, au nord de la ville. Compter 20 minutes de route.
Après vérification des documents, un guide vous est alloué et vous emmène jusqu’au pied du volcan (environ 40 minutes de route) à travers une piste recouverte de basalte. Si vous venez avec votre véhicule, assurez-vous qu’il a une bonne garde au sol !
On peut faire l’ascension du volcan Karisimbi toute l’année mais il vaut mieux éviter les deux saisons des pluies de mars à mai et de septembre à novembre.
Depuis quelques années, le rythme de saisons à tendance à se décaler et la météo reste imprévisible, le parc des volcans bénéficiant de son propre microclimat.
Avant de se lancer dans l’ascension du volcan Karisimbi, il faut d’abord acheter un permis sur le site d’Irembo. Son prix pour un adulte s’élève à 400 dollars et 250 dollars si l’on est résident en Afrique de l’Est. Aucune réservation ne peut être faîte sur place.
Un test COVID négatif PCR de moins de 72h est actuellement requis. Il faut se rendre sur le site du Rwanda Biomedical Centre pour prendre rendez-vous.
La marche s’étale sur deux jours, du matin au lendemain après-midi. Emportez donc de l’eau (compter 6 litres par personne), de la nourriture et de quoi cuisiner si vous comptez manger autre chose que des sandwichs. Le guide et les porteurs (si vous en prenez) se chargeront d’allumer un large feu sur lequel eux-mêmes cuisineront.
Pour dormir, il faut prévoir une tente et son matériel de couchage. Les nuits sont fraîches, entre zéro et 10 degrés selon le vent et les saisons.
Côté vêtements, une bonne veste de pluie est indispensable ainsi qu’une doudoune pour le soir. Pour les pieds, certains grimpent en botte, mais on préférera de solides chaussures imperméables avec des guêtres ou un sur-pantalon bien ajusté.
Durant la marche, des bâtons peuvent se révéler utiles pour garder l’équilibre sur le terrain très glissant et boueux qui compose la majorité de la forêt. Il est possible de louer des guêtres, des bottes et un joli bâton sculpté à l’entrée du parc.
Le Rwanda est désormais un des pays les plus sûr d’Afrique. Le parc des volcans, bien qu’il jouxte la frontière congolaise, n’a subi aucun incident impliquant des touristes ces dernières années.
Un groupe de militaires accompagne systématiquement les touristes qui se lancent dans l’ascension du volcan Karisimbi et des différents volcans du parc. Leur présence peut s’avérer utile en cas de mauvaise rencontre avec un éléphant ou un buffle agressif.
Texte : Joseph d’Arrast
Photos : Marieke Hölscher, Tom Vranken
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