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Lorsque l’on évoque la randonnée en Bretagne, le GR®34 et ses falaises balayées par les vents viennent immédiatement à l’esprit. Pourtant, à l’intérieur des terres, une autre aventure se dessine, loin des embruns et des foules : le GR de Pays Trégor Goëlo.
Conçu pour révéler une Bretagne méconnue, cet itinéraire de 177 kilomètres relie Perros-Guirec à Paimpol à travers un patchwork de paysages variés, de rivières, de forêts et de chemins creux. De quoi se plonger dans une nature préservée et découvrir un patrimoine d’exception.
Le tracé, qui a nécessité six ans de travail, est le fruit d’un patient travail de terrain et d’une collaboration étroite avec les acteurs locaux, réalisé par des passionnés que nous avons rencontrés au fil de nos trois jours de randonnée sur le GRP Trégor-Goëlo, en partenariat avec Tourisme Bretagne et l’Office de Tourisme de Guingamp Baie de Paimpol.
Réveil matin, 6h00. Rendez-vous gare Montparnasse, direction la Bretagne ! Nous discutons avec nos voisins de train, curieux de nous voir équipés pour randonner. « Vous allez faire le GR®34 ? » Question légitime : il est vrai que ce célèbre « sentier des douaniers » est le plus connu de Bretagne, et l’un des plus appréciés du pays. Une réputation qui n’est pas qu’un avantage… Le sentier, dont certaines portions sont très fréquentées en été, met en péril la faune et la flore locales par endroit. À Crozon, par exemple, la trop instagrammable plage de l’île vierge est désormais interdite d’accès.
« Et non, nous partons pour trois jours de randonnée sur le GRP Trégor-Goëlo ! » Nos interlocuteurs nous regardent l’air étonné. Même eux, qui sont du cru, n’en ont jamais entendu parler. Et pour cause : ce GR de Pays est un tout nouveau sentier, inauguré fin 2025, que nous avons le privilège de découvrir en avant-première. L’un des moteurs de sa création a d’ailleurs été de proposer une alternative aux itinéraires côtiers comme le GR®34, et de permettre aux marcheurs de découvrir l’intérieur des terres bretonnes, trop souvent boudées pour le littoral.
Mais avant de continuer, un point sémantique s’impose : les GRP, ou sentiers de Grande Randonnée de Pays, se distinguent des GR nationaux par leur dimension régionale et leur vocation à valoriser le patrimoine local. Celui du Trégor-Goëlo met en lumière deux cours d’eau emblématiques, le Trieux et le Léguer, ainsi qu’un réseau de chemins creux, ces passages ancestraux creusés dans la végétation, qui témoignent d’un passé rural profondément ancré. Il relie Paimpol à Perros-Guirec par l’intérieur du Trégor, via Guingamp, Pontrieux, Plouaret et Lannion, notamment, pour huit étapes et 177 kilomètres entre terre et mer.
Nous voilà arrivés à Guingamp, point de départ de notre randonnée sur le GRP Trégor-Goëlo, que nous avons choisi de parcourir sur trois étapes, jusqu’à Paimpol. Nous sommes en mars, donc il fait frais, mais il ne pleut pas. Et de toutes façons, la légende dit qu’en Bretagne, il fait beau plusieurs fois par jour !
Nous commençons directement notre randonnée sur le GRP Trégor-Goëlo avec, au menu de ce premier jour, 20 kilomètres le long du Trieux, petit fleuve de 72 kilomètres qui traverse Guingamp puis Pontrieux, où nous ferons étape, avant de se jeter dans la mer.
L’immersion en pleine nature est immédiate : un parfum d’ail des ours embaume l’air, le chant des oiseaux résonne dans la vallée et l’eau sombre de la rivière guide notre itinéraire. Sous nos pas, la gadoue nous rappelle que la Bretagne ne se livre pas sans conditions. Nous nous enfonçons dans la forêt aux arbres couverts de mousse. Nous croisons de nombreux moulins et des hameaux préservés, avec cette impression saisissante d’être seuls au monde. Dire que ce matin, nous étions encore dans le métro… Il faut attendre Pontrieux pour croiser âme qui vive : cinq marcheurs ravis, comme nous, d’être ici.
Nous filons à la boulangerie prendre le goûter – thé vert brûlant et Kouign Amann réconfortant. Pontrieux, la « ville aux cinquante lavoirs » porte bien son nom ! Les petites rues de cette Venise bretonne, les pieds dans l’eau, nous mènent à la jolie Maison de Victoire et Alix, notre gîte pour la nuit, où nous attend un festin 100 % produits locaux. L’occasion d’échanger sur les particularités de ce GRP, son tracé, sa création, et les avantages qu’il apportera aux acteurs locaux, dont le patrimoine, l’hôtellerie et la restauration.
Le deuxième jour, après un petit-déjeuner copieux et une visite du centre de Pontrieux en compagnie du propriétaire du gîte, nous reprenons notre randonnée sur le GRP Trégor-Goëlo. Le sentier quitte les rives du Trieux pour rejoindre le temple de Lanleff, vestige fascinant du haut Moyen Âge. Ce monument circulaire, aux allures de sanctuaire oublié, impose le silence. C’est ici que nous rencontrons Pierre Joubert, randonneur chevronné responsable du GRP auprès de la Fédération Française de Randonnée (FFR) des Côtes d’Armor. Il nous raconte avec enthousiasme l’histoire de ce projet qui lui tient à cœur.
« À l’origine, il existait des variantes du GR®34 qui remontaient dans les terres, mais elles étaient peu fréquentées et mal entretenues. La FFR a souhaité les supprimer, mais c’était dommage : l’arrière-pays du Trégor-Goëlo mérite d’être découvert. Alors, avec les randonneurs locaux, on a souhaité créer un GRP. » L’objectif : dessiner un tracé qui traverse les paysages et lieux emblématiques de la région, entre bocages, vallées encaissées et villages de caractère. « On a cherché à tracer l’itinéraire idéal, en évitant le bitume au maximum et en faisant découvrir ce qui fait l’âme du Trégor-Goëlo, comme les chemins creux, ces anciens sentiers creusés pour le passage des charrettes, qui ont joué un rôle de protection lors de la Seconde Guerre mondiale. Certains sont encaissés de plus de dix mètres et forment de vrais corridors écologiques. »
La biodiversité est d’ailleurs un élément fondamental dans la création d’un nouveau sentier : « On essaie de faire passer le GRP dans des zones reculées, où la faune et la flore sont préservées, pour les faire découvrir aux randonneurs sans déranger l’équilibre naturel. Actuellement, c’est la saison des primevères et des jonquilles, vous avez dû en profiter ! Un dernier enjeu, enfin, est l’accessibilité du sentier. « Cinq des étapes sont accessibles en train pour que le randonneur puisse adapter son circuit selon le temps disponible et ses envies. »
Le tracé imaginé, et avant de poser le moindre balisage, il a fallu obtenir des conventions de passage pour chaque portion traversant des terrains privés. « Dans la vallée du Trieux, par exemple, certaines parcelles boisées appartiennent à plusieurs propriétaires… » Un travail colossal, qui peut tout remettre en question : « On pense avoir un itinéraire définitif, mais si un propriétaire change d’avis, il faut tout revoir. ». Finalement, après des années de discussions et d’ajustements, le tracé a été validé, et sera officiellement inauguré courant 2025. Sans l’implication de Pierre et des autres bénévoles passionnés, le tout nouveau GRP Trégor-Goëlo n’aurait jamais vu le jour.
Un peu plus loin, le hameau de Saint-Jacques, sa chapelle, sa fontaine et son calvaire, nous plongent dans une nouvelle atmosphère. Partout, des coquilles sculptées rappellent que nous foulons une route de pèlerinage, un chemin vers Compostelle oublié des grands axes. Les champs alentour sont couverts de choux, et les fameux chemins creux bordés de talus recouverts de fougères que nous évoquait Pierre apparaissent. Nous y observons des grives et des merles. Le vent s’y engouffre parfois, sans jamais briser la quiétude des lieux.
Le soir venu, le sentier nous mène à Pléhédel, chez Karine, où une cabane perchée nous attend pour une nuit à sept mètres du sol. Nous y grimpons, excités comme des enfants. Suspendus entre ciel et terre, nous sirotons nos bolées de Paimpol bercés par un véritable concerto d’oiseaux. Un Pic épeiche, notamment, tambourine sur un tronc. Le bruit résonne dans tout le parc. Un écureuil curieux vient nous saluer. Karine nous appelle : le dîner est prêt ! Il ne reste qu’à hisser le panier sur la terrasse.
Le matin, le froid piquant est vite oublié par ce réveil insolite, en pleine canopée. À travers les branches, la lumière filtre doucement. Nous sommes en pleine forme, revigorés par huit heures de sommeil réparateur. Le spectacle musical reprend et accompagne un petit-déjeuner local exceptionnel. Le temps semble suspendu, mais il faut repartir. Nous repérons le symbole jaune et rouge du GRP, et repensons à ce que nous a expliqué Pierre, la veille, sur le balisage des sentiers.
Le balisage d’un sentier comme le GRP Trégor-Goëlo ne se limite pas à quelques coups de pinceau sur un arbre. C’est un travail minutieux, encadré par des règles strictes et assuré uniquement par des bénévoles. « La semaine dernière, nous avons passé toute une journée à quatre pour baliser six kilomètres. Et il y en a 177 au total… », nous avait confié Pierre. Débuté au mois d’avril, le balisage prendra six mois pour la peinture, une année entière le temps de mettre en place les balises et flèches directionnelles. Tout cela a un coût et prend du temps. Le matériel est financé par le département des Côtes-d’Armor, mais le reste repose sur l’engagement des bénévoles.
Dans la trousse de Pierre : un gilet jaune floqué de la FFRP, de la peinture, du scotch, des pinceaux, des pochoirs, des stickers… Simple en apparence, mais essentiel pour guider les marcheurs, le balisage suit un code immuable. Chaque marque jaune et rouge mesure précisément 10 cm sur 2, se fait à hauteur de regard, dans des emplacements et des orientations précis, jamais parallèle au sentier, et selon un espacement calculé pour être visible sans être invasif… « Il faut suivre une formation pour devenir baliseur ». Margot, qui photographie notre randonnée sur le GRP Trégor-Goëlo, y voit sa future reconversion.
Bientôt, des topos-guides et des applications comme MaRando, développée par la Fédération, permettront aux randonneurs de préparer leur itinéraire avec encore plus de précision. Car un bon balisage, c’est avant tout une invitation à l’aventure, sans jamais perdre le nord. Chaque marque, chaque poteau de direction est une invitation à poursuivre cette immersion dans l’histoire du Trégor-Goelö, où nature et patrimoine se répondent.
En ce dernier jour, le sentier s’élève doucement avant de redescendre à travers champs. Quelques biquettes broutent tranquillement et lèvent la tête sur notre passage. À mesure que nous avançons, le paysage s’ouvre, l’horizon s’éclaircit. Des forêts de pins dignes des Landes alternent avec des panoramas aux faux-airs britanniques. Puis, au détour d’un chemin creux, elle apparaît : la mer. Un bleu profond qui tranche avec le vert des prairies et le jaune des ajoncs. L’air salé vient remplacer l’humidité des sous-bois, et le vent, qui fait danser les herbes hautes, porte avec lui l’odeur des algues sèches et des marées.
Les derniers kilomètres sont une descente en douceur vers Paimpol. L’abbaye de Beauport se dresse sur notre passage, imposante, gardienne silencieuse d’un autre temps. Nous empruntons alors les traces du GR®34. Le contraste est immédiat. Plus de monde, plus d’agitation. Sur le chemin côtier, les promeneurs du dimanche côtoient les randonneurs au long cours.
Nous découvrons le port de Paimpol, terre d’arrivée de notre randonnée sur le GRP Trégor-Goëlo, animé par le va-et-vient des bateaux. L’eau clapote doucement contre les coques, et le soleil illumine les façades colorées. Les mouettes planent au-dessus des quais, picorant ici et là les restes de poissons oubliés. Ici, l’ambiance est vivante, joyeuse.
Une école maritime est en pleine manœuvre. Un groupe d’élèves en CAP s’affaire autour d’un bateau électrique, concentrés, appliqués. On échange quelques mots. Ils apprennent à naviguer autrement, à faire fonctionner ces nouvelles embarcations silencieuses qui, un jour, peut-être, remplaceront les moteurs ronronnants des chalutiers.
Sur le port de Paimpol, nous rencontrons Enora Cadiou, chargée de mission sport nature au Service Tourisme, Culture et Sport pour l’agglomération Guingamp-Paimpol. Son rôle : coordonner le schéma intercommunal de randonnée et s’assurer que les sentiers restent praticables. « L’entretien, c’est l’affaire de tous », explique-t-elle, en évoquant la complémentarité des acteurs impliqués.
Si les randonneurs eux-mêmes contribuent, en marchant, à limiter l’envahissement des sentiers, certaines interventions nécessitent des moyens plus conséquents : les arbres tombés, les passerelles abîmées, les balises effacées par le temps ou les intempéries… Cela mobilise les associations de randonnée, qui parcourent au moins une fois par an une portion du sentier pour l’entretenir et ramasser les déchets, tandis que les plus gros travaux sont financés par les collectivités locales et souvent réalisés par des structures employant des personnes en réinsertion ou en situation de handicap.
Mais l’entretien repose aussi sur la vigilance des randonneurs : grâce à l’application Suricate, téléchargeable grâce aux QR code apposés sur des totems le long du sentier, chacun peut signaler un problème en envoyant une simple photo géolocalisée. Après la tempête de novembre 2023, cette coordination a été précieuse : en quelques jours, propriétaires privés, communes et bénévoles ont œuvré ensemble pour dégager les circuits.
D’ici peu, des plaquettes et des topos détaillés viendront compléter cette démarche de préservation en sensibilisant les randonneurs : rester sur les sentiers, emporter ses déchets, respecter la faune et la flore… Un équilibre fragile mais essentiel pour que les sentiers de randonnée du GRP Trégor-Goëlo, conçu avec soin, puisse perdurer.
Avant de repartir en TER, nous nous offrons une dernière pause dans une crêperie. Galettes complètes, andouillette, chèvre, crêpes beurre-sucre, caramel… On ne s’arrête plus. Le serveur finit par nous rappeler que les cuisines doivent fermer. Une dernière gorgée de cidre, et nous levons nos verres à l’aventure qui s’achève. Trois jours de randonnée sur le GRP Trégor-Goëlo, que nous reviendrons sans aucun doute parcourir dans son intégralité.
Car ici, la Bretagne se dévoile autrement : par ses chemins creux où résonne l’histoire, par ses sous-bois humides et ses vallées boisées, par ses villages paisibles et ses rivières sauvages. D’une balise jaune et rouge à l’autre, on marche autant pour la beauté et la variété des paysages que pour saisir l’essence de cette région, un territoire unique, loin des foules, au plus près de nos cœurs.
En partenariat avec
Tourisme Bretagne
Une terre pour changer d’air. Une terre de liberté pour explorer, se perdre et se dépasser, au coeur des grands espaces et d’un environnement préservé. Une terre où faire le plein de rencontres et d’émotions. La Bretagne vous attend là où le vent vous portera, au bout du monde. Partez touriste, revenez breton !
Office de Tourisme de Guingamp Baie de Paimpol
Entre Armor et Argoat (la mer et la forêt en breton), Guingamp – Baie de Paimpol offre une mosaïque de territoires naturels et patrimoniaux préservés. Le port historique de Paimpol sur le GR®34, les Petites Cités de Caractère® de Pontrieux et Guingamp, la vallée du Léguer et la Vallée des Saints se découvrent toute l’année.
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