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Népal, Himalaya, Everest… Pour tout passionné de montagne, ces noms ont quelque chose de mythique.
Ces dernières années, le nombre croissant d’alpinistes et randonneurs — parfois peu préparés — à s’élancer jusqu’au camp de base voire au sommet du toit du monde a pu ternir l’image de cette aventure. Pourtant, l’expérience reste exceptionnelle et l’engagement, psychologique et physique, bien réel.
C’est cet environnement sublime que Romain Leclerc est parti découvrir. Quinze jours de marche, d’acclimatation et de rencontres uniques, dont il rapporte un film et nous conte ici le récit.
Février 2018. Me voilà au nord-est du Népal pour un mois, dont 15 jours de trek dans la région sud de l’Everest, appelée Sagarmatha.
Notre trek consiste en une boucle au départ de Lukla, un village perché à 2800 mètres d’altitude. Au départ de Kathmandu, nous embarquons dans un DHC-6. Il transporte une vingtaine de personnes équipage inclus. Lukla est tristement connu comme l’aéroport le plus dangereux du monde. Être dans une carlingue d’un autre temps secouée par les vents au milieu de couloirs rocheux, pour atterrir sur un très court ruban de bitume, est une aventure en soi.
Le mois de février est la basse saison au Népal. Les conditions sont mauvaises pour un trek dans le parc national de Sagarmatha. Cette région protégée et inscrite au patrimoine mondial depuis 1976 est presque vide. Nous emboîtons le pas de Dev, notre guide. Nos échanges en anglais sont approximatifs. Mais sa bienveillance est rassurante. Nous marchons en direction de Namche Bazaar, le dernier grand village, la dernière douche, les derniers magasins, et l’endroit ou nous rencontrons Mohan, notre porteur pour les 13 jours à venir.
Charger Mohan de toutes nos affaires nous secoue. Il nous répète qu’il ne faut surtout pas s’inquiéter pour lui. Mohan nous raconte que les sherpas vivent dans la montagne depuis des siècles et qu’ils ont construit leur communauté sur leurs propres dos. Ils portaient pour leur peuple avant de porter pour les randonneurs qui, avec leurs devises, permettent aux familles sherpas de se scolariser, de se soigner, et de vivre plus confortablement qu’auparavant.
Le développement de l’alpinisme dans la région à subventionné écoles, passerelles, solutions hydroélectriques… En un sens, les Occidentaux qui se plaignent du changement de leur mode de vie simple d’autrefois font preuve d’une certaine condescendance envers un peuple souhaite accéder à la modernité.
Je ne parviens pas à cadrer la verticalité de Namche Bazaar avec ma camera. Le village forme un véritable amphithéâtre de maisons, suspendues à flanc de montagne. De la rivière Dhudh Kosi, 600 mètres plus bas, à cette une couronne de sommets de plus de 7000 mètres tout autour, les extrêmes se rencontrent ici. Le jour de notre arrivée, nous faisons une montée d’acclimatation récompensée par un point de vue exceptionnel, en tête à tête avec le grand Everest.
Les jours suivants, nous passons Dole, Luza, Macchermo, pour arriver à Gokyo. Nous sommes à 4 750 mètres. L’altitude où les arbres ne poussent plus depuis un bon moment. Dans les Tea Houses — habitations dans lesquelles nous trouvons gite et couvert durant ce trek dans la région du Sagarmatha — on se chauffe en allumant un poêle central qui brûle de la bouse de Yak, à défaut du bois.
Notre premier sommet : Gokyo Ri
Il nous faut deux tentatives pour atteindre les 5 357 mètres du Gokyo Ri. La première reste infructueuse à cause d’une tempête de neige. Mais poser le pied sur ce sommet s’avère obligatoire avant de poursuivre notre trek. Il fait office de marche d’acclimatation. Prendre de l’altitude et redescendre, progresser peu à peu, est un processus indispensable pour habituer le corps au manque d’oxygène.
Le mal des montagnes est dangereux. Il créé migraines et nausées. Une fois malade, le seul remède est de redescendre. Pour ne pas mettre en péril l’expédition, il faut donc respecter scrupuleusement les montées d’acclimatation ainsi qu’une diet bien précise avec gingembre et ail à tous les repas. Ces aliments ont des propriétés vasodilatatrices et permettent d’augmenter l’afflux de sang dans le corps ce qui favorise les échanges gazeux avec les poumons.
Nous buvons aussi 3 à 4 litres d’eau par jour. Bien au-delà de notre soif, toujours pour éradiquer le mal de l’altitude. L’eau étant non potable pour nos fragiles organismes occidentaux, nous sommes obligés de traiter chaque gourde avec 3 gouttes de chlorine.
En partant de Gokyo, nous entamons la partie la plus compliquée de notre itinéraire : Cho La pass. Nous redoutons précisément cette étape, de Dragnag pour Dzongla. Si nous échouons ce passage, il faudra faire demi-tour et contourner la vallée pour se rendre de l’autre coté, impliquant de nombreux jours de marches supplémentaires.
La montée du col dure plusieurs heures. Arrivés en haut, même les sherpas sont soulagés et se mettent à chanter Resham Firiri, hit népalais qui résonne en temps de fête. Nous sommes à la moitié de l’étape. C’est le moment de s’équiper de crampons, pour fouler un glacier et redescendre. Au fil des heures, les visages se ferment, les regards se durcissent. Y compris ceux des locaux, qui souffrent presque autant que nous aujourd’hui.
C’est à Lobuche que l’on rejoint l’itinéraire standard entre Lukla et le camp de base de l’Everest. Les prochains jours de marche longent le Khumbu, glacier que les alpinistes doivent escalader afin de parvenir au toit du monde.
Nous arrivons au camp de base
Je pensais que ce serait le bouquet final de notre trek, mais ce n’est pas ce que je ressens. Ce côté de la montagne est bien plus fréquenté. À Gorak Shep, dernier village avant le camp de base, un hélicoptère décharge juste devant nous de riches visiteurs chinois qui ne marcheront que deux heures pour atteindre l’arrivée. Un peu plus tôt, notre sherpa a d’ailleurs dû secourir une touriste qui avait glissé dans un éboulement bénin, pendant que son mari, inexpérimenté, ne faisait qu’aggraver la situation…
Impossible de trouver le sommeil ce soir là, à Gorak Shep. À 5 200 mètres, l’altitude opère sa chimie et nous rend insomniaque. Le réveil doit sonner à 3h30 du matin pour l’ascension de Kala Patthar (5 643 mètre), troisième point clé de notre expédition. Dans la nuit, on marche le souffle court et profond pour atteindre le sommet avant que le soleil ne soit levé.
Je n’ai pas la force de sortir ma caméra. De toute façon, les vallées sont plongées dans l’obscurité, les contrastes brutaux, les couleurs saturées. Je suis au 3e pôle de la planète, mais j’ai beaucoup de mal à faire des images qui me plaisent. Arrivés en haut, on regarde tout autour pour s’imprégner au maximum de la vue qu’offre un tableau peint à cette altitude dans l’Himalaya… mais on ne tarde pas. Il faut entamer la descente, et retourner vers Lukla, que nous retrouvons quelques jours plus tard.
Arrivés à Lukla, un dernier soupçon d’inquiétude nous rattrape. Notre avion ne décollera pas. On nous dit qu’il n’est pas rare que les vols soient retardés de plusieurs jours, parfois une semaine, à cause des conditions météorologiques. Ce doit être notre jour de chance. Après plusieurs heures d’attente, les voyants sont finalement au vert. On quitte la montagne, avec cet étrange sentiment de manque déjà présent.
Si nous sommes heureux de retrouver une douche après 15 jours de lingettes et d’optimisation vestimentaires. Le retour en ville est brutal. Le fourmillement humain et le bruit nous impressionnent. Ce périple nous a permis de totalement déconnecter. Synchronisés au soleil, nous étions en marche à 6h00 et couchés à 19h00, dans le calme stellaire des sommets…
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