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Réaliser la traversée intégrale d’une chaîne de montagne… Peut-on rêver mieux pour une randonné en itinérance ?
Inauguré en 2018 par la FFRandonnée, le GR® 738 est le plus jeune chemin de grande randonnée de France. Il propose la Haute Traversée du massif de Belledonne, terre d’alpages méconnues et encore sauvages. Long de près de 130 kilomètres, ce sentier s’étend du département de la Savoie à celui de l’Isère, structurée autour d’une ligne de crête centrale oscillant entre 2 500 et 2 977 mètres d’altitude.
Après avoir réalisé relié la Méditerranée au Lac Léman pendant 24 jours sur le GR®5, c’est donc vers le massif de Belledone que Stanislas est parti pour son trek annuel. Cette fois, il a embarqué dans son aventure Tim, qui se souviendra longtemps de sa première expérience de randonnée en itinérance sur le GR® 738 .
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L’été approche et il temps d’organiser mes prochaines aventures : mon moment préféré de l’année ! Il faut surtout choisir les compagnons avec qui partager de longues heures de randonnée. Après quelques recherches, plusieurs grands circuits se font concurrence. Les Écrins ? Le Mont Blanc ? Non. Mon attention se porte vers un sentier et une destination de randonnée moins connus : la randonnée du GR®738, la Haute Traversée de Belledonne.
Délimité par des parcs et des vallées de renom, ce massif ne m’évoque pas grand chose. Mais un élément m’attire immédiatement : la randonnée du GR®738 est le dernier GR® tracé en France. C’est aussi un véritable défi sportif avec ses 11 000 mètres de dénivelé positif sur « seulement » 130 kilomètres. De belles grimpettes en perspective. Parfait pour cette année « Made in France ».
Le trek, je l’ai. Il ne me manque plus que le partenaire. Je me tourne vers mes anciens camarades de rando mais personne ne répond présent cette année. Alors que je me fais à l’idée de partir seul, un de mes amis me dit qu’il a parlé de mon projet à Tim qui semble intéressé. Tim ? « Mais si, tu l’as déjà rencontré à une soirée. » C’est vrai, une soirée très sympa, mais un peu arrosée. Les souvenirs sont flous… « Il n’a jamais fait de trek mais il est motivé. » Une semaine de randonnée intense sur la Haute Traversée de Belledonne, en totale autonomie, avec une vague connaissance ? Allez, c’est parti !
Nous arrivons la veille de notre départ à Aiguebelle, en Savoie. Nous cherchons un restaurant pour profiter d’un vrai repas avant d’enchaîner les savoureux lyophilisés. Sur les conseils du gérant, nous dormons dans le parc de la médiathèque où notre premier réveil sonne à 6h10. Nous voulons éviter les grosses chaleurs.
Cette première journée s’annonce chargée, tout comme le planning de la semaine : nous avons décidé de relier en sept jours les onze étapes officielles. Dix, plutôt, la dernière n’étant qu’une simple mais interminable descente à travers les remontées mécaniques de Chamrousse.
Nous prenons rapidement de l’altitude et, très vite, le bruit de l’A43 n’est qu’un lointain ronronnement. Les premières forêts s’ouvrent à nous, palier obligé avant de conquérir les paysages lunaires. Nous apercevons très vite la Chartreuse qui ne nous quittera plus. Malgré le manque d’entraînement préalable et les sacs à dos bien lestés, nous avalons les premiers kilomètres sans grimacer. Je suis confiant pour la suite, Tim a un très bon rythme.
L’heure du déjeuner arrive, nos estomacs ont déjà faim. Poulet curry ou pâtes Bolognese ? Deux plats qui nous suivront jusqu’à la fin. Le temps que l’eau bout, nous jetons un œil sur la carte. Il est 13h00, nous avons encore de l’énergie, et la fin de l’étape initialement prévue se trouve à seulement deux heures, maximum. Nous décidons donc de recalculer notre étape et de trouver un terrain adapté pour la tente. Puisque nous sommes en avance, autant prendre le temps de faire une sieste en compagnie des vaches !
L’après-midi se déroule au même rythme et nous arrivons relativement tôt à notre premier campement. Pas de mauvaise surprise, le terrain est plat. Ravis de délaisser le sac à dos et de troquer chaussures de marche contre tongs, nous en profitons pour faire un rapide brin de toilette avant que le froid ne s’installe. Nous sommes seuls, la tente aux premières loges pour le coucher du soleil.
Nous n’avons croisé personne sur cette première journée d’août. La réputation de la randonnée sur le GR®738 s’en tient pour le moment à l’Ultra Trail de l’Échappée Belle. Les randonneurs ne l’ont pas encore assiégé. Après un « excellent » poulet curry, nous prenons notre dessert du soir : crumble aux pommes. Il se révèle précieux mais très vite lassant. D’autant plus qu’il fait aussi office de petit déjeuner une fois sur deux, en alternance avec les mueslis au chocolat.
Le bilan de cette première journée se ressent dans nos jambes. À peine le temps de recalculer la journée de demain et de lire quelques pages que nous tombons déjà dans les bras de Morphée. Ayant appris de mes erreurs sur le GR®5, j’ai pris cette fois-ci mon sac de couchage 10-15 degrés. Parfait ! Pour cette nuit-là en tout cas…
Bilan du jour : 22,6 kilomètres, 2 245 mètres D+ et 835 mètres D-. « Pas si mal pour une première journée ! »
Nous nous réveillons sous la pluie avec, en prime, un orage menaçant. Le petit déjeuner est pris dans la cabane d’à-côté. Nous attendons une petite heure que le mauvais temps passe. Entre deux averses, nous rangeons à toute vitesse nos affaires et la tente détrempée. Cette petite accalmie ne dure pas longtemps et la pluie revient de plus belle lorsque nous atteignons le sommet de notre première montée.
Le ciel est chargé, une drôle d’ambiance règne sur ces crêtes, contrastée par un arc-en-ciel. Le soleil ne devrait pas tarder à venir nous sauver. Il pointe le bout de son nez après une descente chaotique à travers la roche glissante… Cette randonnée sur le GR®738 a bien failli s’arrêter là plusieurs fois !
Les paysages alpins se dessinent après le second col. La forêt disparaît au profit de crêtes lunaires. Bien que sans grande difficulté technique, quelques passages sont exposés et nous restons concentrer durant cette traversée. À mi-chemin nous croisons une famille de vautours surveillant le troupeau de moutons en contrebas. Après une bonne demi-heure, Tim me sort de mon safari photo alpin en me montrant le ciel qui s’assombrit de nouveau…
La fin de l’étape n’est plus très loin et nous arrivons encore une fois plus tôt que prévu. Le temps d’analyser rapidement la carte, nous repartons pour quelques kilomètres de plus sur une longue descente. Une cabane non gardée devrait se trouver au pied du prochain col. Nous nous enfonçons de nouveau dans la forêt, confiants dans notre plan.
Arrivés sur place, nous déchantons rapidement. C’est la jungle ! Un maillage d’arbres et de plantes en tout genre. Impossible de planter la tente et la cabane est fermée. Nous nous séparons pour vérifier les alentours mais nous revenons tous deux bredouilles. Pas question d’avaler un col supplémentaire. Le toit de la petite cabane se prolonge jusqu’au sol avec des planches sur l’herbe, c’est parfait pour la nuit.
Le rituel du soir peut commencer… après avoir retiré la tique du mollet de Tim à l’aide d’un couteau. S’étirer, se laver, rincer ses vêtements, admirer la Chartreuse s’enflammer, choisir consciencieusement son lyophilisé, calculer la journée, re-programmer la suivante, lire quelques pages, s’écrouler de fatigue.
Bilan du jour : 16,5 kilomètres, 1 200 mètres de dénivelé positif, 1 775 négatif. « Un peu moins de kilomètres, mais quelques pentes agressives, peut-être qu’on peut prendre un peu plus de temps ? »
Cette nuit du 24 juillet 2020, je m’en souviendrai. Impossible de fermer l’oeil tant le froid mord chaque centimètre carré de mon corps. Le sac de couchage se révèle beaucoup moins efficace à la belle étoile… 6h30, le soleil décide enfin de sortir de sa cachette. Délivrance. Je mets du temps à enlever mes quatre épaisseurs de vêtements. Tim a l’air d’avoir plutôt bien dormi, il ouvre la marche pour le premier col.
Dès 9h00, la chaleur nous assaille. N’ayant pas chômé dans la montée, nous nous accordons une pause café/tarte dans un refuge. Vide… Mais où sont les randonneurs ? Depuis le début nous n’en avons croisé qu’une dizaine. On passe le deuxième col avant de prendre notre pause déjeuner. Le cadre est parfait mais gâché par le bruit des tronçonneuses. Nos estomacs crient famine, pas le choix, nous devons nous arrêter là.
Le plein d’essence fait, nous repartons de plus belle à l’assaut du troisième col. Une fois franchi, il est seulement 15h30… « Un quatrième pour la journée ? » Sans avoir le sentiment de courir, notre rythme nous convient parfaitement. Avant même d’avoir fait le point sur cette étape, nous savons déjà que la journée a été longue. Exténués, nous arrivons juste à temps pour observer le soleil finir sa course derrière la Chartreuse. Spectacle inlassable pour s’étirer.
Bilan du jour : 22,7 kilomètres, 2 270 mètres de dénivelé positif, 1 970 négatif. « On ne devait pas ralentir le rythme ? »
Dès les premiers mètres, mon genou me fait payer l’addition des jours précédents. Une douleur atroce m’empêche de le plier en descente. Je dois m’arrêter toutes les cinq minutes. Heureusement, il fonctionne correctement en montée…Nous sommes maintenant deux montagnards éclopés, Tim m’ayant prévenu le premier jour qu’il traînait un syndrome de l’essuie glace. Rassurant !
Nous voilà repartis clopinclopant. Les descentes prennent plus de temps mais l’aventure continue. Mon égo m’interdit d’abandonner pour le moment. Je me dope aux anti-inflammatoires pour les prochains jours et je plonge mon genou dans chaque torrent glacé.
Arrive la fameuse montée aux lacs des Sept Laux. 1 280 mètres de bonheur après une descente infernale. Une fois là-haut, nous décidons de dépasser les lacs pour bivouaquer sous le col de la Vache, prêts à attaquer dès le lendemain.
Nous sommes proches du point d’arrivée quand nous entendons au loin des aboiements que je reconnais trop bien : la parcelle d’herbe que nous visions est occupée par un troupeau de moutons gardé par deux sentinelles… des patous !
Le berger n’est pas loin et nous discutons longuement avec lui. Hier, une meute de loups rôdait tout près et il nous conseille de nous éloigner un peu du troupeau au cas où il y aurait un mouvement de foule. Nous nous retirons pour prendre un peu de hauteur, tandis que les montagnes revêtent leur plus belle robe rouge.
Bilan du jour : 17,5 kilomètres 1 775 mètres de dénivelé positif, 1 315 négatif. « Fais gaffe de ne pas rencontrer les loups cette nuit en photographiant les étoiles ! »
Nous avons du mal à nous réchauffer ce matin, malgré le soleil qui tape. Nous croisons quelques bouquetins dans les premiers névés de notre randonnée sur le GR®738. Juste sous le col nous sommes pris par surprise. Une famille entière trône à son sommet. Pas le temps de dégainer l’appareil, ils s’enfuient aussi vite.
Le temps de manger un encas, un des jeunes bouquetins revient timidement nous voir. J’escalade la paroi pour être à son niveau. Il s’assoit et vient se faire photographier avec la Chartreuse en toile de fond. Magique !
Nous devons rependre la route, c’est encore une longue journée, surtout avec un genou en piteux état. Nous croisons un sentier ramenant dans la vallée, j’hésite à dire stop. Mais Tim est d’un très bon soutien. Nous allons finir ce trek. Il est même très fort puisqu’il arrive à me faire faire un détour par le sommet de la Pointe du Ferrouillet afin d’admirer le Mont Blanc s’imposant à l’horizon.
Il est 15h00, nous sommes au refuge de Jean Collet et nous décidons finalement de finir notre randonnée sur le GR®738 en six jours. Après une pause sucrée, nous achevons le dernier col de la journée. La pente est particulièrement soutenue, nous avons du mal à avancer. C’est le plus ardu du trek !
La récompense nous attend au sommet : une vue plongeante sur les Trois Pics de Belledonne. Le plus haut culmine à 2 977 mètres d’altitude. Nous poussons l’effort pour bivouaquer en dehors du GR®, à côté du lac de la Sitre. Encore une fois, nous sommes seuls. Dernière baignade. Derniers étirements. Dernier poulet curry. Dernière danse enflammée entre la Chartreuse et le soleil.
Avant-dernier bilan : 16,8 kilomètres, 1 820 mètres de dénivelé positif, 2 065 négatif. « Demain soir, c’est burger-bière à Lyon pour fêter ça ! »
Nous partons à l’aube pour remonter au col de la veille afin de contempler les premières lueurs sur le Grand Pic de Belledonne. Le soleil sort doucement. Tim et moi voulons profiter au maximum de cette dernière journée. Ce soir, nous serons de retour à Lyon et sa folle réalité urbaine.
Nous croisons de plus en plus de monde au fur et à mesure que nous approchons de Grenoble, où de nombreux lacs sont accessibles à la journée. Le contraste avec le début du trek est frappant. Si les cinq derniers jours se sont révélés être très sauvages, le sixième lui, finit en grande partie dans les remontées mécaniques de Chamrousse.
Une dernière sieste à côté des lacs Robert reste tout de même agréable. Une fois arrivés dans la station nous avons deux heures à tuer avant de prendre notre bus. Juste le temps de prendre conscience de cette expérience vécue autour d’une bière et de sceller notre nouvelle amitié.
Bilan de la journée : 15,1 kilomètres, 1 075 mètres de dénivelé positif, 1 415 négatif.
« T’es partant pour le Grand Pic de Belledonne, la prochaine fois ? »
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