Corse, le GR20. Balisée par la FFRandonnée, ce sentier mythique traversant l’île du Nord au Sud est réputé pour être l’un des plus exigeants et difficiles d’Europe. 15 jours en moyenne pour parcourir 180 kilomètres et plus de 10 000 mètres de dénivelé sur des sentiers rocailleux. Un défi que Charlaine et Gwenaël ont décidé de relever.
Mais ici, la montagne est reine, et chaque pas dicté par la nature sauvage et minérale de l’île de beauté. Entre difficultés physiques et météo capricieuse, l’aventure n’est pas de tout repos, mais largement récompensée par l’ambiance, les rencontres inattendues et la beauté des paysages.
Après avoir parcouru la partie Nord du GR20, particulièrement exigeante, Charlaine et Gwenaël nous racontent ici la partie Sud, 6 étapes de Vizzavona à Conca, ligne d’arrivée de leur aventure Corse sur le GR20.
Départ pour la Corse du Sud sur le GR20. Aujourd’hui, Charlaine et moi changeons de petit-déjeuner. On a fini nos céréales lyophilisées et on a profité de l’après-midi d’hier pour acheter des tablettes de chocolat et des petits pains. Dit comme ça, ça peut paraître anecdotique et inutile, mais loin de là. Déjà, ça fait du bien au moral de manger quelque chose de réellement bon, avant de marcher. Avouons-le, le muesli déshydraté est efficace d’un point de vue énergétique, mais ce n’est pas incroyable. Au bout d’une semaine, on commence à en avoir un peu marre. Carrément ras le bol, même. Il nous reste encore six jours de marche, il est bon de casser la routine quotidienne pour éviter la lassitude et rester motivés.
Le refuge de ce soir est plutôt un restaurant d’altitude mettant à disposition des équipements pour passer la nuit. L’ambiance y est tout à fait différente comparée aux refuges du Nord. Nous sommes pris d’un sentiment étrange… il nous manque quelque chose. Certes, nous venons à nouveau de quitter la civilisation, mais il faut aussi dire qu’à part nos quatre amis belges, tous nos compagnons randonneurs de la partie Nord se sont arrêtés.
La première sensation du matin donne souvent le ton pour la journée. Et elle n’est pas très bonne, aujourd’hui. On part vers 6h45. Le chemin est monotone, plat, à travers de la forêt. Les sommets, les reliefs escarpés de la partie Nord nous donnaient des objectifs. Ici, on avance sans trop savoir où cela va nous mener. Le contraste est saisissant, mais c’est aussi pour ça que la partie Nord de la Corse et du GR20 est réputée bien plus technique que la seconde. Peut-être aurions-nous trouvé cette étape magnifique si l’on avait parcouru le GR20 dans l’autre sens ? Quoi qu’il en soit, c’est long, et les jambes sont molles.
Dans la dernière ascension avant d’arriver au refuge, les nuages arrivent et l’orage commence. Je n’aime toujours pas ça, j’accélère un peu le pas. Pourtant, on est sur une crête, au cœur des nuages. C’est magnifique, presque irréel. Mais les grondements du tonnerre nous rappellent à l’ordre : il faut vite se mettre à l’abri.
À peine arrivés au refuge de Prati, il se met à pleuvoir à grosse gouttes. Un éclair illumine tout le plateau dans un fracas épouvantable. Des grêlons gros comme des dés s’abattent et tout devient blanc en un instant. On ne s’entend plus dans le refuge, le bruit de la grêle sur le toit fait un vacarme assourdissant. Puis, plus rien. Tout s’arrête aussi vite que ça s’est déclenché. Court, mais violent et intense.
Malheureusement, beaucoup de tentes ont souffert et sont transpercées, comme si quelqu’un s’était acharné à coups de couteau. Nous serons donc obligés de dormir sur les lits du refuge cette nuit.
L’orage passé, le coucher de soleil est magnifique. La lumière se reflète dans les nuages. Serait-ce un bon présage ? La journée de demain sera-t-elle meilleure que celle d’aujourd’hui ? Après la pluie vient le beau temps, comme on dit. Espérons que ce soit vrai.
Au réveil, mauvaise surprise : on s’est fait piquer sur les bras et les jambes par des punaises de lit. C’est inoffensif, ça ne transmet aucune maladie à l’Homme, mais c’est vraiment désagréable. J’ai l’impression d’être allergique, mes mains et bras gonflent. Je peux difficilement bouger les doigts. Le soleil me brûle la peau et m’oblige à randonner en manches longues toute la journée.
Charlaine et moi partons en premier ce matin. Il fait déjà clair et on commence à voir la mer au loin, signe qu’on n’est plus très loin de l’arrivée. Dès le départ on se retrouve sur les crêtes, on domine tout. Les orages sont toujours présents au loin, sur la mer. Le soleil levant se reflète dans l’eau, les éclairs font ressortir les nuages et la brume matinale. On prend le temps ce matin, Charlaine en profite pour capturer ces instants.
Niveau moral, ça va mieux aussi. Le sentier est moins régulier, on traverse des troupeaux de chèvres au milieu des rochers. L’ambiance est paisible, sans bruit. Les quatre Belges arrivent peu après nous au refuge de Usciolu. Le gardien dispose d’un petit stock de produits à acheter. Ce soir, c’est Mathieu et Simon qui cuisinent. Spaghetti, sauce tomate et tomme de montagne. Ce n’est pas de la grande gastronomie mais qu’est-ce que ça fait du bien.
Nous arrivons en début d’après-midi au refuge d’Asinau, après avoir effectué l’ascension du mont Incudine, point culminant de la partie Sud. Depuis le sommet on peut apercevoir les fameuses aiguilles de Bavella, une formation rocheuse en pic dressée au milieu de la montagne.
« Il l’a eu ! Belle bête ! » Cela fait une heure que nous assistons à la traque d’un sanglier par un chasseur. L’épilogue vient de se dérouler là, sous nos yeux. Nous mangions notre repas lyophilisé, un des derniers, en discutant avec le gardien qui nous montre mouflons, brebis et autres habitants des montagnes corses à la jumelle. Il nous explique alors qu’un chasseur est en train de suivre un sanglier juste en face de nous.
Une certaine tension s’installe, on se prend au jeu. Le sanglier semble avoir l’avantage du terrain, le chasseur étant en difficulté dans les rochers et la végétation. Il l’observe, le sanglier ne bouge pas. Il n’a pas dû voir le danger s’approcher. Depuis le début et jusqu’au coup de feu final, nous avons eu le sentiment d’assister à une chasse équitable, l’un possédant l’avantage du terrain, l’autre la visibilité sur sa proie, le tout avec énormément de respect envers l’animal. Un moment unique avec les habitants de la montagne.
C’est notre avant-dernière étape. On se sépare en deux groupes. Mathieu, Valérie, Céline et Simon tentent l’ascension des aiguilles de Bavella. Charlaine et moi passons par le bas. Le genou recommence à faire souffrir Charlaine, la météo n’est pas belle et la vue limitée. Le spectacle reste hypnotisant. Les nuages jouent avec la montagne, tels une armée invisible engloutissant des sommets ennemis. Les aiguilles apparaissent et disparaissent au gré de leurs assauts.
Au village de Bavella, nous avons le même sentiment qu’à l’arrivée à Vizzavona : les cars de touristes et les campings-cars remplacent les blocs rocheux et les buissons. Chacun veut sa photo avec les aiguilles ! C’est peut-être un premier aperçu de ce qui nous attend demain, en fin du GR. On redoute déjà cet instant.
Nous rejoignons les Belges au refuge d’I Paliri. Il y avait trop de nuages, ils n’ont rien vu au sommet. C’est la première nuit pour les randonneurs parcourant le GR20 dans l’autre sens.
Ils ne savent pas encore ce qui les attend !
Ils paraissent détendus, leurs corps ne sont pas encore meurtris comme les nôtres et la fatigue ne se fait pas encore sentir sur leur visage. Nous échangeons beaucoup de conseils, d’anecdotes, d’histoires sur ce que nous venons de vivre. Comme si, alors que nous terminons, nous nous devions de passer un témoin à ceux qui s’engagent dans cette aventure.
Notre dernière soirée en montagne, l’orage n’a même pas fait son apparition aujourd’hui. Tout est calme, la nuit tombe paisiblement, le gardien entonne des chants corses à la guitare. A-t-on vraiment envie de quitter la montagne ?
C’est le dernier réveil, et peut être un des plus beaux. Le soleil se lève sur la mer au loin, illuminant la montagne et la forêt qui nous entoure de sa lumière dorée. Le ciel est en feu, passant du rouge à l’orange et au jaune.
Les dernières descentes se font dans l’insouciance. Les douleurs des jours précédents ont disparu, comme si notre corps avait compris que c’était fini. L’arrivée, elle, se fait dans la même discrétion et la même sobriété que le départ. Fin du chemin, début de l’asphalte, arrivée au village de Conca. Une seule plaque, fixée sur un mur indique que le GR20 se termine ici.
On vient de passer 15 jours dans une bulle invisible, coupés du monde. Une bulle inconfortable, exigeante, mais tellement enrichissante. Pour ne pas casser cette bulle, il faut sans cesse chercher un équilibre : quel niveau de confort somme nous prêts à abandonner ? Jusqu’à quel point pouvons-nous passer outre la douleur, la météo et tous les aléas du chemin ? Une fois l’équilibre trouvé, alors cette bulle se révèle être une alliée, l’inconfort est oublié, il n’y a plus qu’à marcher et profiter.
Mais quand le sentier prend fin, la bulle éclate. Les douleurs disparaissent à tel point qu’on se demande si elles ont même existé. L’avons-nous vraiment fait ? Avons-nous fait ces belles rencontres, vu ces paysages extraordinaires ? On ne sait pas si on y retournera un jour, mais il nous restera toutes ces souvenirs à jamais.
Peut-être faut-il terminer une aventure pour en débuter une autre ?
Photos : Charlaine Croguennec
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