À travers son voyage en van au coeur du Pays-Basque, Elisa Routa nous expose sa manière d’appréhender l’hiver.
Je crois qu’on s’est enfuies juste après l’orage, après que ces tonnes d’eau ont saccagé notre jardin. On a pris la route vers le nord en évitant les gouttes.
Nos weekends ressemblent désormais à des vacances d’été. Le talent de février est de savoir faire oublier la surpopulation qui noircit nos côtes et les rend aussi laides qu’une fourmilière à échelle humaine. À cette époque de l’année, certains rêvent d’adosser leur torse nu contre la murette en pierres, face à la Grande Plage à Biarritz, la serviette collée contre celle du papi au teint orange qui porte le slip de bain bien bas. D’autres savourent le désert passager et s’en vont prendre l’air. Je préfère les sweats à capuche aux débardeurs, qui ne vont bien qu’aux adolescentes maigrichonnes perchées sur leurs 180 impertinents centimètres. Je préfère les chaussettes en laine que les claquettes et les bonnets aux lunettes de soleil. J’aime le froid rien que pour ça. Et puis, je remercie sa délicatesse de nous donner le droit de s’aimer entre anonymes, cachés incognitos entre les murs en plaquo du van.
Nous orientons notre périple en direction des lacs, ces étendues immobiles qui nous sont étrangères. Quand on vient de la turbulente côte Basque, on en oublie vite que l’eau peut être sage. Face à tant de douceur, on en reste sans voix. Il est presque midi, on sort les casseroles et la poêle encore grasse. On cherche dans les placards étroits les gobelets en plastique et le reste de la panoplie du parfait campeur. Le temps est plus lent quand on vit sur la route. La cuisine est à la fois plus compliquée et plus simpliste quand on n’a pas de plaques à induction ou de four micro-ondes. Il faut innover pour ne pas s’ennuyer. Il faut avoir faim bien tôt pour pouvoir manger à l’heure. Tout ça est une question de rythme, il paraît.
Chez nous, on fait de la musique en rangeant les assiettes et les oiseaux répondent. Mon Dieu, on chante tellement faux qu’on en rit aux éclats. À cette époque de l’année, les arbres changent de couleur, la moquette verte fluo au pied du tronc est apparemment à la mode. Il n’y a pas grand monde à qui parler et les seules personnes que l’on rencontre feront désormais partie de notre voyage comme un souvenir heureux, comme un son en arrière-fond qu’on fera chanter à nos enfants. Les lacs ont cette particularité d’assagir les âmes turbulentes. Ils nous font nous asseoir sur des barques en bois usé et nous font repenser à nos vie sur la Terre. Semblable au pouvoir du divan d’un psychologue, on en arrive à se poser les bonnes questions.
Où court-on si vite ? Une fois arrivés à destination, on fera quoi ?
C’est sans doute pour tout ça qu’on a décidé de prendre le temps, de n’avoir pour cuisine qu’un camping gaz un peu fainéant posé sur une table en aluminium, de n’avoir que pour salle de bain un bidon de 5 litres le matin au réveil, de n’avoir que pour maison un 6 mètres carré posé sur 4 roues. Oui, c’est sans doute pour ne jamais arriver à destination qu’on a choisi de continuer à rouler comme après la tant attendue ligne d’arrivée d’un marathon, les jambes tremblantes et le coeur vrombissant. Même si notre réalité nous donne froid au nez, aux mains et à la tête durant les nuits où on pourrait congeler une côte de porc sur le capot du van, on veut la sentir. On veut la vivre et pas seulement la toucher du doigt ou l’effleurer, on veut la porter à pleines mains. On a choisi les tasses en inox et les brosses à dents comme seuls caprices parce que le temps est plus lent quand on vit sur la route.
La voilà notre thérapie de l’hiver.
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